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European Media Freedom Act (2/2) - Comparaison entre les propositions d’UBDM et l’EMFA

[Suite de notre article sur l'European Media Freedom Act - voir la partie 1]

Les propositions Médias 2022 d’UBDM ne couvrent ni le sujet des organismes de régulation ni celui des plateformes de diffusion en ligne.

La comparaison est basée sur la version d’origine du 16 septembre 2022 de l’EMFA . Comme mentionné dans la première partie de notre article sur l'EMFA, le processus législatif en cours pourrait amener des modifications substantielles du texte.

La transparence de l’actionnariat des médias

Sur ce sujet, UBDM demande la publication visible et facilement accessible du nom et des liens d’intérêts des sociétés actionnaires et des personnes physiques qui les possèdent.

C’est probablement le point sur lequel, la proximité entre notre proposition et l’EMFA est la plus grande. Cette dernière demande  “un accès facile et direct” (EMFA, Art 6 alinéa 1) des informations concernant les actionnaires. Et fait intéressant, il demande de publier les informations et  les noms des “bénéficiaires effectifs”. C’est également ce que nous préconisons en demandant la publication du nom des personnes physiques qui contrôlent l’actionnaire direct. En effet, par le jeu des actionnaires, une société qui possède un média peut être elle-même détenue par une ou plusieurs personnes qui, bien qu’elles  ne soient pas actionnaires directs du média, en sont pourtant les propriétaires effectifs. Le cas le plus connu, mais pas unique, est Vivendi dont Vincent Bolloré est actionnaire. On peut également citer l'exemple, moins connu, du groupe Ebra qui possède un grand nombre de titres de la presse quotidienne régionale française  (Le Dauphiné, l’Est Républicain etc) dont l’actionnaire est le Crédit Mutuel.

On notera, que la position de la FEJ concernant ce point semble particulièrement pertinente dans l’optique d’un marché unique d’introduire une exigence de règles identiques sur ce sujet dans tous les pays de l’Union. Elle demande également la création d’une banque de données numériques accessible en ligne par tous les citoyens (“Loi Européenne pour la liberté des médias, position de la EJF” page 6).

Investissements pour une information de qualité (y compris dans la production de l’information)

Afin de donner les moyens financiers et matériels de produire des informations dans de bonnes conditions UBDM propose qu’une proportion minimales des charges de fonctionnement soit consacré aux salaires et qu’une partie substantielle soit consacrée au développement des activités journalistiques de l’entreprise. L’EMFA n’aborde pas les sujets de rémunération des journalistes et des investissements.

Une gouvernance démocratique qui inclut les journalistes

En résumé, UBDM propose une représentation significative des salariés dans les instances de gouvernance du média, le droit d’agrément d’un nouvel actionnaire dont l’arrivée modifierait son contrôle. La validation par la rédaction d’un nouveau directeur de publication.

L’EMFA qui est un texte général couvre des situations variées d’un pays à l’autre de l’Union, n’impose pas de mesures aussi détaillées. En revanche, le principe de la séparation entre l’actionnaire et la rédaction est clairement établi (Il est fort probable que le vocable de « chef de rédaction » - dans la version anglaise le mot utilisé est « editors » - doivent être compris comme « directeur de publication » qui juridiquement en France est le responsable des publications du « fournisseur de service d’information ») :

Une fois que la ligne éditoriale générale a fait l’objet d’un accord entre les propriétaires et les chefs de rédaction, la liberté de ces derniers de prendre des décisions individuelles dans le cadre de leur activité professionnelle [EMFA, (20) page 22]

Pour cela, l’EMFA prévoit la mise en place de « garde fous » :

L’évaluation visée au paragraphe 1 tient compte des éléments suivants : [...] les garde-fous protégeant l’indépendance éditoriale, y compris les effets de la concentration sur le fonctionnement des équipes éditoriales et les mesures [EMFA, article 21 alinéa 2b]

Ce concept de « garde fou » garantissant l’indépendance de la rédaction est assez central dans l’EMFA puisque ce dernier affirme sa compatibilité avec la charte des droits fondamentaux des droits de l’Union Européenne

Cet objectif est également conforme au droit fondamental de recevoir ou de communiquer des informations consacrées à l’article 11 de la charte [Liberté d’expression et d’information]

Les propositions d’Un Bout des Médias : participations des salariés aux instances de directions, droit d’agrément, vote de validation pour le directeur.rice de rédaction sont au sens propre des gardes fous garantissant cette indépendance. Ces propositions sont parfaitement EMFA compatibles. Cependant, la rédaction actuelle reste très vague et malgré une exigence d’évaluation par les États membres n’est pas contraignante. Il est nécessaire de rester très vigilant sur ce point.

Faire évoluer les règles de lutte contre la concentration des médias

Dans ses propositions Médias 2022, UBDM demande une modification des seuils de concentrations existant dans la législation existante. L’intégration de critères concernant la presse régionale qui aujourd’hui ne sont pas couverts par la législation française. Et, en ce qui concerne les médias audiovisuels une renégociation effective de la convention permettant aux médias d’émettre.

Dans son article 21, l’EMFA prévoit que les États membres doivent évaluer la concentration des médias. Cette évaluation doit être conduite par « l’autorité nationale ou l’organisme national de régulation » de la concentration des médias basés sur des critères préétablis, publics. 

En cas d’absence d’évaluation dans un état membre, « le Comité » européen de coordination peut être saisi.

En l’absence d’une évaluation ou d’une consultation conformément à l’article 21, le comité élabore, à la demande de la Commission, un avis sur les effets sur le pluralisme des médias et l’indépendance éditoriale d’une concentration sur le marché des médias, lorsque cette concentration est susceptible d’avoir une incidence sur le fonctionnement du marché intérieur des services de médias. Le comité fonde son avis sur les éléments énoncés à l’article 21, paragraphe 2. Le comité peut porter à l’attention de la Commission les concentrations sur le marché des médias susceptibles d’avoir une incidence sur le fonctionnement du marché intérieur des services de médias. [EMFA Art. 22 alinéa 1]

Là également, l’EMFA doit répondre à des situations extrêmement variables d’un pays à l’autre et ne rentre pas dans le détail. Mais il prévoit l'établissement de critères et l’évaluation de l’état de concentration par un organisme compétent. Les carences pouvant être compensées par une action du Comité européen de coordination. On peut espérer que l’EMFA devienne un véhicule pour une modification de la loi française actuelle qui a démontré son inadéquation par rapport à l’état réel du paysage médiatique.

Garantir un financement pérenne de l’audiovisuel public

Dans une addition récente à ses propositions, UBDM considère que les médias audiovisuels publics sont un élément majeur de l’offre médiatique et demande, suite à la suppression de la redevance audiovisuelle, la pérennisation du budget dédié à ces médias  (appelés Médias de service public dans l’EMFA). 

L’EMFA précise de façon extrêmement claire :

Les États membres veillent à ce que les fournisseurs de médias de service public disposent de ressources financières suffisantes et stables pour l’accomplissement de leur mission de service public. Ces ressources sont de nature à permettre que l’indépendance éditoriale soit préservée. [EMFA article 5]

L’EMFA propose même que ce budget soit pluriannuel (EMFA(18) P21) ce qui semble effectivement un bon moyen de garantir le financement dans le temps.

Conclusion

L’EMFA est clairement une avancée majeure dans le domaine de l’indépendance des médias. Il inscrit ce sujet dans le cadre de l’Union européenne. Il aborde les risques d’influence tant étatique que capitalistique. 

L’EMFA tient compte de la diffusion de l’information numérique. Ce mode de diffusion, aujourd’hui incontournable, est très peu abordé par la législation française. C’est très clairement un sujet complexe compte tenu des divers modes de diffusion. Mais, il nous semble important de l’inclure dans nos réflexions.

L’organisme de coordination des autorités nationales (le “Comité”) avec des prérogatives renforcées par rapport à la situation actuelle va dans le bon sens. Dans le texte, elle a des compétences renforcées sur le sujet des concentrations. Malheureusement, ses avis ne sont pas contraignants. Il nous semble évident que son pouvoir et son indépendance doivent être renforcés.

On retrouve dans la version actuelle de l’EMFA une partie non négligeable des propositions Médias 2022 d’UBDM. Mais nous aimerions voir un rôle accru des rédactions dans la gouvernance des médias et l’introduction de mesures financières destinées à l’investissement humain et matériel dans la production de l’information. 

Enfin, nous nous réjouissons de voir que l’EMFA acte l’importance des médias audiovisuels publics. Il demande un financement suffisant. Reste à déterminer ce que signifie “suffisant”. Nous devons rester vigilant sur ce point.

Ce texte n’est qu’une proposition et nous devons rester attentif à l’avancement des travaux et s’assurer que le résultat final soit au moins aussi exigeant que la version actuelle.

Quelques motifs de vigilance :

Alors qu’une directive obligeait les états à mettre en place un registre des “bénéficiaires ultimes” d’une entreprise, accessible à tous les citoyens dans le cadre de la lutte contre le blanchiment des capitaux (Directive 2015/849 du 20/05/2015 art. 30(5) , modifiée par la directive 2018/843 du 30/05/2018 art. 1(15)(c)). La Cour de justice de l’Union européenne a rendu un arrêt le 22 novembre 2022 restreignant l'accès aux données de ce registre. Depuis plusieurs pays européens, dont la France, ont restreint l'accès à ce registre. On peut se poser la question de l’application effective de l’exigence de transparence de l’actionnariat des médias de l’EMFA. De plus, le document projet a été publié en septembre 2022. 

Nous écrivons cet article en avril 2023, soit 6 mois après la publication. Il semble que la discussion en commission culture au parlement européen n’avance pas. Diana Riba i Giner, rapporteuse fictive à la commission culture du parlement européen pour le groupe écologiste, dans un entretien au média Contexte, évoque des discussions difficiles. Or, le temps presse, les prochaines élections européennes auront lieu dans un an en 2024. Le média Euractive mentionne une forte opposition venant des éditeurs allemands.

Pour aller plus loin

Commission européenne :

Parlement européen :

Mina Léopold

Étudiante en Sciences Politiques - Bénévole pour Un Bout des Médias

Romary Daval

Secrétaire Général d'Un Bout des Médias

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