Au sommaire de cet article :
- Un média indépendant, c’est quoi ?
- Les médias indépendants, contre-pouvoir face aux intérêts économiques
- Une espèce essentielle à l’écosystème médiatique en danger
Un média indépendant, c’est quoi ?
Le « média indépendant » est avant tout une expression que l’on entend de plus en plus, dans les médias comme en société et qui regroupe un ensemble de caractéristiques aux contours flous. Aucune liste de critères n’existe pour catégoriser un média comme tel, il s’agit surtout d’un statut relevant de l’interprétation et du contexte.
Les seules exigences du média indépendant sont celles d’avoir un modèle de financement exempt de toute forme de pressions ou d’influences, ainsi qu’un fonctionnement et un contenu respectant les codes de déontologie journalistique.
Lorsqu’on parle de médias indépendants en France, on pense à Mediapart, média d’investigation reconnu pour ses enquêtes chocs cumulant plus de 200 000 abonné·es par an, ou encore à Blast, média généraliste se revendiquant défenseur de l’antiracisme, de l’égalité des genres et de la lutte sociale, rassemblant sur ses réseaux sociaux des millions d’abonné·es.
La gouvernance de ces médias s’organise autour d’une franche séparation entre les actionnaires et les rédactions, afin de garantir l’indépendance totale des contenus produits. Les équipes ne sont soumises à aucune forme de pression et sont libres de publier sur tous les sujets. Il est rare que les médias indépendants aient des actionnaires privé·es (comprenez ici des actionnaires millionnaires ou milliardaires) : ils sont souvent détenus par les journalistes, ou les lecteur·ices eux·elles-mêmes. Leur mode de financement exclut également la publicité et repose donc uniquement sur l’abonnement, le don ou les campagnes de financement participatif.
Cependant, comme énoncé précédemment, il n’existe pas de règles générales ou de caractéristiques obligatoires pour qu’un média soit considéré comme indépendant : certains le sont alors que leurs actionnaires majoritaires sont des milliardaires possédant plusieurs médias. Une attention particulière est alors portée à la séparation actionnaires/rédaction : l’exemple du journal Le Monde est à cet égard édifiant. Possédé en majorité par Xavier Niel, propriétaire notamment de l’entreprise de télécommunication Free, il est toutefois considéré comme ayant des gardes fous garantissant une pleine indépendance de la rédaction.
Les médias indépendants, contre-pouvoir face aux intérêts des milliardaires
Les médias indépendants sont des gardiens de la liberté de l’information, du pluralisme et de la transparence journalistique, des principes structurant la démocratie. Exempts de toute pression financière ou idéologique, ils peuvent traiter de tous les sujets sans peur de représailles ou de censures, contrairement aux médias de plus forte notoriété et privés.
Ces médias mainstream -accessibles, avec une forte audience- sont soumis aux pressions de leurs actionnaires, qui, étant investis dans d’autres industries, ont des intérêts financiers et idéologiques parfois contradictoires avec les principes de la déontologie journalistique.
Citons-en quelques exemples :
Comme l’a révélé Oxfam, dans une étude intitulée Les inégalités carbone tuent sortie en octobre 2024, Bernard Arnault a une empreinte carbone 200 000 fois plus élevée que celle d’un.e Français.e moyen.ne : il consomme en 3h20 le CO2 qu’un Français·e consomme en toute une vie. Il n’atteint pas uniquement ces quotas par le biais de son quotidien, mais aussi via son patrimoine financier, c'est-à-dire l’intégralité de ses possessions et investissements dans des entreprises particulièrement polluantes. Face à ce constat, Mediapart a, depuis 2022, publié neuf papiers différents abordant sous plusieurs angles l’impact du mode de vie des ultra-riches sur la planète. À l’inverse, les médias détenus par Bernard Arnault ne se sont jamais saisi du sujet de la surconsommation énergétique des milliardaires.
Dans son ouvrage « La France n’a pas dit son dernier mot » daté de 2021, Eric Zemmour révèle que c’est Vincent Bolloré lui-même qui l’a poussé à rejoindre la chaîne CNews, dont il deviendra un chroniqueur vedette. Lorsqu’il se déclare candidat à l’élection présidentielle, le système Bolloré se met en marche et Eric Zemmour bénéficie d’un traitement de faveur. Vincent Bolloré, en accord avec la théorie du « grand remplacement », souhaite voir son poulain en tête des votes. Eric Zemmour occupe, durant sa période de campagne, 45% du temps de la parole politique de Touche Pas à Mon Poste, célèbre émission de Cyril Hanouna diffusée sur C8, une chaîne également possédée par Vincent Bolloré. Pour les partis de gauche, la prise de parole ne représente qu’environ 10% du temps d’antenne.
Ainsi, sur tous les aspects sociaux, politiques ou encore économiques, les intérêts des milliardaires actionnaires de médias entrent en conflit avec les principes de la déontologie journalistique. Les médias indépendants sont donc primordiaux afin de rééquilibrer la balance de l’information. Ils sont un contre-pouvoir indispensable qui donne une voix aux discours et personnes exclues des médias mainstream, et maintiennent, par ce biais, le pluralisme et la liberté de l’information.
Une espèce essentielle à l’écosystème médiatique en danger
Depuis le début des années 2000, un phénomène inquiétant pèse sur l’écosystème médiatique français : des milliardaires français issus de domaines divers (luxe, transport et logistique, BTP ou encore télécommunications) investissent dans des médias de tout type. Aujourd’hui, 11 milliardaires possèdent 81% de la presse quotidienne nationale généraliste, 95% de la presse hebdomadaire nationale généraliste, et représentent 47% de part d’audience des radios généralistes, 57% de part d’audience de la télévision généraliste et enfin 44% de part d’audience des sites d’informations généralistes. Il est aujourd’hui impossible d’éviter complètement de s’informer par le biais de médias possédés par ces hommes d'affaires.
Parmi eux, Vincent Bolloré a construit un véritable empire médiatique, aussi bien dans la presse écrite que dans la télévision, ou la radio (si l’histoire et la création de cet empire vous intéresse, un article plus détaillé est disponible sur notre blog).
Face à cette invasion brutale, souvent contre la volonté des rédactions, le Sénat a lancé en 2022 une commission d’enquête sur la concentration des médias en France. Les justifications présentées par ces milliardaires s’étendent de la pure rentabilité économique pour Vincent Bolloré au mécénat revendiqué par Bernard Arnault. En réalité, l’intérêt est tout autre : ces monopoles permettent d’exercer un contrôle idéologique de l’information, en imposant aux rédactions des lignes éditoriales favorables aux valeurs des milliardaires et de leurs partenaires.
Les médias indépendants sont l’un des principaux contre-pouvoirs face à ces manipulations de l’information, mais leur survie est en danger. Économiquement surtout, car produire une information de qualité coûte cher et le modèle de financement de ces médias repose sur des ressources instables : des dons, des abonnements, ou des campagnes de financement ponctuelles.
Les initiatives en faveur de l’indépendance médiatique se multiplient : la création de Coop-Médias ou encore le passage en SCIC de Politis, des actions qu’Un Bout des Médias a soutenues. Cependant, les médias indépendants ont besoin du soutien financier et moral de la population civile pour ne pas être contraints à mettre la clé sous la porte. Moins d’indépendance des médias équivaut à moins de démocratie, de pluralisme, de presse libre. Ils sont une espèce essentielle à l’écosystème médiatique, et c’est pour cette raison qu’Un Bout des Médias s’engage au côté des médias et présente plusieurs propositions pour les soutenir : consultez-les ICI.
Si cet article vous a plu, il existe dans le cadre d’une série de trois articles qui vous amèneront progressivement à situer la place centrale qu’ont les médias indépendants dans l’espace médiatique et l’importance primordiale qu’il faut accorder à leur préservation.
Épisode 1 : Comment fonctionne un média ?
Épisode 2 : Les médias indépendants, indispensables mais en danger
Épisode 3 : Vincent Bolloré, ou l’histoire d’un milliardaire à l’assaut des médias