Au sommaire de cet article :
- Le portrait d’un homme d’affaires au coeur de nombreuses polémiques
- La naissance et la construction d’un empire médiatique
- Des prises de contrôle plongeant les rédactions dans le chaos
- La mise en place d’une censure dans les médias contrôlés par Bolloré
Le portrait d’un homme d’affaires au coeur de nombreuses polémiques
Le nom Vincent Bolloré vous dit probablement quelque chose, et ce n’est pas étonnant : son capital est estimé à plus de 10 milliards de dollars, ce qui fait de lui la 8ème fortune française. Héritier de la famille Bolloré, originaire de Bretagne et dans l’industrie depuis 1861, il est un homme d'affaires, président du groupe Bolloré et du conseil de surveillance de Vivendi. Il a officiellement pris sa retraite et passé la main à ses enfants le 14 avril 2023, mais officieusement, Vincent Bolloré tire toujours les ficelles de son empire, qu’il a fait fructifier dans de nombreux domaines. Après avoir repris son entreprise familiale OCB, son activité se diversifie : énergie, agriculture, transport, logistique, fret maritime, publicité, édition ou encore médias, aucun domaine n’y échappe.
Le groupe Bolloré, regroupant Vivendi, Havas, et de nombreuses autres filiales, est implanté dans plus de 150 pays, avec une forte présence en Afrique. Même s'il l’a quittée en 2022 en revendant ses filiales, cet ancrage a été la source de bien des scandales. Trois affaires majeures ont secoué le groupe et son actionnaires principal, Vincent Bolloré :
En 2021, une plainte est déposée pour manquement aux droits humains et à la protection de l’environnement par 145 Camerounai·es devant la justice française. L’entreprise sera condamnée à verser 140 000 euros aux plaignant·es, une somme qui ne leur sera jamais versée.
En 2023, nouveau scandale lié aux activités du groupe en Afrique : l’entreprise étend ses plantations et est accusée par les populations d’Apouh A Ngog de mener des campagnes d’intimidation pour exproprier les populations locales ainsi que de détruire des terres ancestrales.
En mai 2024, le Parquet national financier français a requis un procès contre Vincent Bolloré lui-même pour corruption : durant les élections présidentielles au Togo et en Guinée, il aurait utilisé l’activité de conseil politique proposée par Havas pour que Bolloré Africa Logistics puisse décrocher frauduleusement la gestion des ports de Lomé et de Conakry.
Ces affaires dressent le portrait de l’homme qu’est Vincent Bolloré et de la conduite de ses affaires. Au début des années 2000, il s’intéresse au domaine médiatique et commence à y investir : des manœuvres qui inquiètent - à raison.
La naissance et la construction d’un empire médiatique
L’histoire de l’empire médiatique de Vincent Bolloré commence en 2012, quand le groupe Bolloré fait l’acquisition des chaînes de la TNT D8 et D17, devenue aujourd’hui C8 et CStar. Il les revend au groupe Canal +, dont il prend le contrôle par la même occasion en devenant son actionnaire majoritaire. En 2014, Vincent Bolloré prend la présidence du conseil de surveillance du groupe Vivendi, et par ce biais de sa filiale Canal +. Les changements ne tardent pas : iTélé devient CNews, une chaîne continue plus proche de la chaîne d’opinion que d’information, bastion de l'extrême droite et nid de la campagne présidentielle d’Eric Zemmour.
Ces premières manœuvres marquent le grand lancement du groupe Bolloré dans le domaine médiatique : les prises de contrôle sont agressives et de nouvelles lignes éditoriales sont imposées.
Vincent Bolloré ne s’arrête pas là : en 2021, Vivendi devient l’actionnaire principal du groupe Lagardère, en faillite, et prend donc la direction de tous les médias lui étant associés. Des titres très populaires comme Europe 1, RFM ou encore Virgin Radio passent sous la gouvernance du groupe avec, de nouveau, une évolution de l’idéologie : Europe 1 est encouragée à se rapprocher de CNews et accueille une émission de Cyril Hanouna, On Marche sur La Tête. Parmi les chroniqueur·euses préssenti·es pour l’émission, Thais d’Escufon, militante identitaire d'extrême droite, qui finira par être écartée face à la polémique.
Fort de ce nouveau développement, le groupe fait l’acquisition de Prisma Media la même année. Il est le premier éditeur de magazines en France avec un important catalogue : Télé Loisirs, Voici, Femme actuelle, Capitale ou encore Gala. En tout, 35 titres de presse sont concernés par ce rachat : l’empire prend de l’ampleur et commence à toucher tous les types de presse.
Enfin, pour clôturer une année 2021 déjà bien remplie, le groupe devient également actionnaire majoritaire du groupe espagnol Prisa, contrôlant le média El Pais et actionnaire du journal Le Monde.
En 2023, Vincent Bolloré devient propriétaire de Paris Match (qu’il revendra finalement à Bernard Arnault), et du Journal Du Dimanche, qui verra nommé à la tête de sa rédaction un homme d’extrême droite, Geoffroy Lejeune.
En l’espace de 10 ans, le groupe Bolloré a construit un véritable empire médiatique et possède des médias radiophoniques, télévisuels, de presse papier et de contenus en ligne. À force de prise de contrôle agressive et d’imposition de lignes éditoriales d'extrême droite, il sème le chaos dans les rédactions et soulève les inquiétudes de tout le milieu médiatique.
Des prises de contrôle plongeant les rédactions dans le chaos
L’arrivée parmi les actionnaires majoritaires de Vincent Bolloré est rarement - si ce n’est jamais - bien accueillie par les rédactions. Des vagues de protestations sont organisées dans tous les titres dont il prend le contrôle, incluant la première grève générale de l’histoire d’Europe 1.
Les rédactions tentant de se prémunir d’un interventionnisme dans leur ligne éditoriale, se voient refuser toute protection. iTélé avait, par exemple, tenté d’obtenir une charte déontologique, sans succès.
Partout où Vincent Bolloré surgit, les journalistes fuient en masse, inquiet·es des conditions de travail et des changements de ligne éditoriale qui surviennent par la suite. Des journalistes emblématiques d’Europe 1 comme Matthieu Belliard ou Anne Roumanoff quittent la rédaction et sont remplacé·es par des chroniqueur·euses de CNews : on retrouvera notamment Cyril Hanouna ou encore Pascal Praud.
Les directions des rédactions sont tout aussi bouleversées : les directeur·ices sont évincé·es au profit de personnalités d'extrême droite. Au Journal Du Dimanche, Geoffroy Lejeune, précédemment chez Valeurs Actuelles, devient directeur de la rédaction contre l’avis de l’ensemble des journalistes de la rédaction, amenant avec lui une ligne éditoriale d'extrême droite.
Tous ces médias, jusqu’alors classés comme modérés, sont aujourd’hui considérés comme étant d'extrême droite : l’effet « Vincent Bolloré » sans doute.
La mise en place d’une censure dans les médias contrôlés par Bolloré
Vincent Bolloré abat ensuite sa dernière carte : la censure. La censure, outil idéologique utilisé depuis la nuit des temps par les régimes autoritaires, permet alors de contrôler ce qui est dit dans les médias du groupe Bolloré, et d’empêcher la diffusion d’idées qui desserviraient ses intérêts, ou ceux de ses partenaires.
Par exemple, au printemps 2015, une enquête de Mediapart et du magazine Society révèle la censure d’un documentaire d’investigation sur une filiale du Crédit Mutuel-CIC, partenaire en affaires de Vincent Bolloré. L’épisode de Spécial Investigation révélait une aide à l’évasion fiscale, et devait être diffusé sur Canal +. Vincent Bolloré aurait alors personnellement censuré l’émission, afin de préserver les intérêts du groupe avec lequel il collabore.
Un autre exemple a provoqué un vrai scandale et même une condamnation de la chaîne C8 par l’Arcom. Il s’agit du fameux passage du député de La France Insoumise Louis Boyard dans l’émission de Cyril Hanouna, Touche Pas à Mon Poste. Dans un extrait qui a fait le tour des réseaux sociaux, on voit Louis Boyard qui tente d’aborder les accusations visant Vincent Bolloré sur ses activités en Afrique (évoquées dans la première partie de cet article). S’en suit alors un échange houleux avec le présentateur star de C8, qui s’en prend verbalement au député en lui rappelant qu’il a été chroniqueur lui-même dans l’émission TPMP et qu’il ne devrait pas “cracher dans la main qui l’a nourri” (NDLR Vincent Bolloré). Cyril Hanouna ajoute que Louis Boyard ne devrait pas venir sur une chaîne du groupe Bolloré pour critiquer son actionnaire principal. Un aveu public de l’animateur et de ses chroniqueur·euses qu’il n’est pas autorisé de critiquer le grand patron dans ses médias, au mépris des principes de liberté de la presse.
À la tête du plus important empire médiatique français, Vincent Bolloré est l’exemple type du milliardaire à l’assaut des médias avec une intention claire : instrumentaliser la presse pour défendre ses intérêts propres et diffuser son idéologie.
Si cet article vous a plu, il existe dans le cadre d’une série de trois articles qui vous amèneront progressivement à situer la place centrale qu’ont les médias indépendants dans l’espace médiatique et l’importance primordiale qu’il faut accorder à leur préservation.
Épisode 1 : Comment fonctionne un média ?
Episode 2 : Les médias indépendants, espèce indispensable en voie de disparition
Episode 3 : Vincent Bolloré, ou l'histoire d'un milliardaire à l'assaut des médias