Le secteur des médias est malade. Les symptômes sont flagrants : hyperconcentration entre les mains d’une poignée d’actionnaires, rédactions vidées de leurs journalistes, absence de démocratie interne et de transparence sur l’actionnariat…
En la matière, le cas du variant Bolloré est parlant. Mise sous pression des rédactions, promotion de convictions politiques personnelles au travers de médias grand public… Aujourd’hui, journalistes et citoyens font le constat commun du péril que représente la mainmise de Vincent Bolloré sur le paysage médiatique français. Un Bout des Médias participe directement à cette dénonciation en tant que signataire de l’appel du collectif Stop Bolloré.
Mais le cas Bolloré n'est qu'un symptôme de la vulnérabilité du paysage médiatique. Rien n’empêchera le système Bolloré de se reproduire tant que la loi ne protégera pas véritablement l’indépendance des médias.
En se basant sur les travaux de Julia Cagé et Benoît Huet - auteurs de l’ouvrage L'information est un bien public et respectivement présidente et administrateur d’Un Bout des Médias - l’association formule des propositions à destination des candidates et candidats aux élections de 2022 pour mettre à jour un cadre législatif incomplet et obsolète. Cette réforme vise à protéger une bonne fois pour toutes l’indépendance des rédactions contre toute tentative d’exercer une influence éditoriale.
nos 4 gestes barrières, à appliquer de toute urgence :
#1 Mettre fin à la partie de cache-cache
Qui possède réellement les médias que nous lisons, que nous regardons, que nous écoutons ? Saviez-vous que le Crédit Mutuel est propriétaire de la société EBRA qui possède les grands titres de presse quotidienne locale que sont le Progrès, le Dauphiné Libéré ou encore l’Est Républicain ? Ou que les journaux Le Parisien et les Échos sont contrôlés par le groupe Le Parisien-Les Echos, qui est lui-même une filiale de LVMH, qui a pour actionnaire majoritaire le groupe Arnault... contrôlé par Bernard Arnault ? Entre rachats fréquents des médias ou des entreprises qui les contrôlent, cette information n’est pas toujours évidente à trouver, alors qu’elle constitue un prérequis essentiel pour renouer le lien de confiance avec les citoyens.
Nous proposons donc de rendre obligatoire, pour toute entreprise de presse et tout média audiovisuel, la publication du nom et des liens d’intérêts des sociétés actionnaires à plus de 5% et de leurs dirigeantes et dirigeants. Et ce n'est pas tout : il faut également exiger la publication du nom des personnes physiques qui contrôlent ces sociétés, pour englober les sociétés mères et pour une transparence optimale.
Bien sûr, cette publication devra être visible et facilement accessible : pas question de les indiquer sur une page non-référencée de leur site web ou dans un obscur PDF. Eh non. On ne nous la fait pas, à nous !
#2 Pas d’information sans journalistes
Certains actionnaires de médias semblent croire qu’il est possible de se passer de journalistes pour produire de l’information à moindre coût. C’est en tout cas ce qu’a fait l’actionnaire Reworld Media lorsqu’il a racheté le magazine scientifique Science & Vie et a préféré embaucher des "producteurs de contenus" en lieu et place de véritables journalistes scientifiques. On en a vu les résultats : la publication de titres trompeurs ou de fausses informations non vérifiées, phénomène inquiétant au sujet duquel le collectif Sauvons Science&Vie, dont Un Bout des Médias était partenaire, a alerté l’opinion dans une tribune en décembre 2020.
Nous savons que les journalistes professionnels sont essentiels pour permettre l’accès à une information de qualité. Les dirigeants de médias doivent donc s’engager à investir dans les moyens matériels et humains indispensables à la production d’une information fiable.
Nous proposons d’allouer une proportion minimale dédiée aux salaires dans les charges de fonctionnement des entreprises de presse et des médias audiovisuels pour garantir un investissement suffisant dans la production de l’information par de véritables journalistes.
Et pour bénéficier du statut de média, une entreprise de médias devra aussi affecter une proportion minimale de ses bénéfices à une enveloppe consacrée au développement de ses activités journalistiques. En bref, une cagnotte réservée à la production de l’information. Et parce que la qualité de l’information doit primer sur la rémunération des actionnaires, cette somme ne pourra faire l’objet d’aucun versement sous la forme de dividendes.
#3 Pour que les journalistes aient voix au chapitre
On l’a dit : pas d’information sans journalistes. Sans elles, sans eux, les entreprises de médias n’existeraient pas. Mais alors, pourquoi sont-ils souvent exclus des instances de décision de ces entreprises ? Nous proposons de remédier à cette incohérence en créant les conditions d’une véritable participation des journalistes aux grandes décisions stratégiques qui concernent leur média. Bref, de les intégrer aux lieux de décision !
Nous souhaitons ainsi que les représentantes et représentants du personnel salarié soient intégrés aux organes de gouvernance des médias, et bénéficient de droits de vote au même titre que les autres membres.
Le personnel salarié, désormais représenté dans les organes de gouvernance du média, pourra également s’opposer à l’arrivée d’un nouvel actionnaire au capital de l’entreprise. C’est ce qu’on appelle le droit d’agrément, qui existe aujourd'hui au groupe Le Monde par exemple. Pour bien comprendre de quoi il s’agit, prenons un exemple : grâce à cet outil, si Vincent Bolloré tente encore de racheter un média d’information grand public pour le transformer en chaîne d’opinion, le personnel de l’entreprise - et en premier lieu les journalistes - pourra riposter. Ils auront alors 12 mois pour proposer un autre repreneur.
Enfin, les journalistes pourront donner leur avis sur leurs patrons, en acceptant - ou refusant ! - la nomination, proposée par les actionnaires, du directeur ou de la directrice de leur rédaction.
Cette mesure ne s’appliquera qu’aux entreprises de médias de plus de dix personnes.
#4 Sauvegarder le pluralisme face à des médias possédés par quelques-uns
La concentration des médias s’est accélérée au cours des dernières décennies, au détriment du pluralisme de l’information. Les mesures actuelles de lutte contre cette concentration, imposées par la loi de 1986, sont insuffisantes. La preuve : aujourd’hui, 9 milliardaires possèdent 90% des médias dans notre pays. Les propriétaires de médias ne sont même pas assez nombreux pour former une équipe de foot !
Et le cas de Vincent Bolloré, et son interventionnisme politique virulent dans les contenus produits par les médias qu’il possède, montre à quel point il est dangereux de laisser autant de médias entre les mains de quelques-uns.
Nous proposons donc de modifier les seuils de concentration des médias nationaux (télévision, radio, presse, groupe plurimédia) sur tous leurs supports, mais aussi de renforcer les seuils de concentration pour les médias locaux afin d’empêcher la constitution de monopoles régionaux. Il faut également renforcer les pouvoirs de l’Arcom (ex-CSA) en matière de lutte contre la concentration, en déclenchant une renégociation automatique de convention entre un média audiovisuel et l’Arcom en cas de changement de contrôle.
Pour faire appliquer ces gestes barrières et pour qu'ils soient enfin inscrits dans la loi, signez notre appel citoyen Médias 2022 pour interpeller les candidates et candidats à l’élection présidentielle et aux élections législatives !