Le 9 janvier dernier, Un Bout des Médias animait un ciné-débat à la suite d’une projection du nouveau documentaire signé Mediapart. Julia Cagé et Michaël Hajdenberg ont, à cette occasion, pu échanger avec le public et répondre à leurs questions.
Le 21 janvier suivant, nous retrouvons Michaël dans les bureaux de Mediapart. Il y est co-responsable du pôle enquête et, surtout, co-auteur du documentaire Personne n’y comprend rien réalisé par Yannick Kergoat.
Révéler des informations d’intérêt général
Mediapart est connu et reconnu pour ses travaux d’investigation, particulièrement politique. Ces enquêtes, Michaël nous en parle et insiste sur l’importance de « révéler des informations qui étaient inconnues du grand public alors que nous, on estime qu’elles sont d’intérêt général ». Le média s’attache à respecter des codes de déontologie stricts : ne publier que des informations vérifiées, recoupées, et présentant un réel apport au débat public.
C’est également l’indépendance du journal qui fait sa réputation, un gage selon lui « de ne pas subir l’influence de qui que ce soit ». En effet, Mediapart est uniquement financé par ses lecteur·ices, excluant toute source de revenus représentant des intérêts privés (milliardaires, publicitaires, GAFAM, subventions étatiques) à l’image de son slogan « Seuls nos lecteurs peuvent nous acheter ». Une promesse d’honnêteté et d’un travail sérieux et sans tabou qui a permis au média de se faire connaître à travers de grandes enquêtes, comme celle de l’affaire Sarkozy-Kadhafi dite des financements libyens.
Une affaire spéciale, incroyable, importante pour le journal
Cette affaire, c’est la première qui a un retentissement pareil dans l’histoire du journal. Nicolas Sarkozy, ancien président de la République et candidat à la présidentielle de 2007, aurait financé sa campagne électorale avec l’aide du dictateur libyen Mouammar Kadhafi.
Fabrice Arfi et Karl Laske ont enquêté et produit au total plus de 130 articles révélant les différents rebondissements de cet enchevêtrement d’accusations, de démentis et de révélations. Mediapart a également réalisé un podcast et une BD autour de cette enquête, mais ce n’est toujours pas suffisant. Pour Michaël, l’équipe a le sentiment que même si les médias ont parlé de l’affaire, « elle n’a pas été suffisamment relayée et quand elle l’a été, c’était surtout quand les mis-en-causes se défendaient ». Plus important encore, « les gens n’en ont pas pris la mesure ».
L’idée d’un documentaire germe de ce constat avec deux objectifs principaux : toucher par ce biais un autre public, et surtout, démêler le scandale pour le rendre compréhensible, accessible à tous et toutes. Le média lance un financement participatif, qui permettra de récolter plus de 500 000 euros en un mois, et fait appel à une équipe de professionnels du cinéma, ainsi qu’au réalisateur Yannick Kergoat, oscarisé pour ses productions documentaires.
Personne n’y comprend rien
« L’affaire libyenne, il y a un article, deux articles, trois articles. Les Français sont bien en peine de résumer ce que l’on me reproche, personne n’y comprend rien. » Cette citation, désormais culte, est issue d’une interview donnée par Nicolas Sarkozy au Figaro en août 2023. Elle inspire ironiquement le titre de ce documentaire d’1h43 résumant les 136 articles produits par Mediapart à propos de l’affaire. Étoffé par des images d’archives, un travail journalistique de grande qualité et l’intervention de plusieurs spécialistes (dont Julia Cagé, en sa qualité de spécialiste des médias), le documentaire retrace les principaux éléments de l’enquête. L’idée est de contourner justement cette méconnaissance, qui arrange bien Nicolas Sarkozy selon Michaël : le film expose clairement et simplement les faits découverts.
Au-delà de dévoiler aux citoyens les dessous d’une enquête, il s’agit également de lutter contre la défiance dont sont aujourd’hui victimes les journalistes. À l’occasion de projection-débats, les représentants de Mediapart vont à la rencontre du public et répondent aux interrogations, un exercice essentiel pour le journaliste : « C’est normal que les gens aient des doutes, des questionnements sur notre manière de travailler. (…). Notre rôle c’est aussi de ne pas fuir le contact, de ne pas parler d’un piédestal, de descendre dans l’arène et de parler aux gens. ».
Le documentaire comme vecteur de l’information
Le format documentaire revêt ici un nouvel usage, qu’on lui connaît peu : il est un média d’information, d’actualité, dans la mesure où le procès Sarkozy-Kadhafi s’est ouvert le 6 janvier dernier. Comme nous l’explique Michaël, il a ses avantages : il permet de toucher un nouveau public, celui qui se décourage à l’idée de remonter un fil d’articles datés de 8 ans, mais qui a tout de même un intérêt pour la chose publique, la démocratie. Il évoque également « la force des images, des archives, d’un réel récit de l’enquête ». Le documentaire attire un public partageant les valeurs de Mediapart mais qui n’est pas toujours abonné; un sujet de pouvoir d’achat pour Michaël, qui rappelle que « une place de cinéma, c’est relativement peu cher par rapport à un abonnement dans la presse sur toute l’année ».
Le succès est au rendez-vous, ce qui n’était pas forcément évident pour une affaire datée, ne concernant plus des dirigeants actuels. Michaël nous explique alors que, plus que la simple histoire de Nicolas Sarkozy, le documentaire est un « film sur les représentants politiques et les mensonges qu’ils sont capables de livrer (…) une manière de réfléchir à la façon dont on nous gouverne, dont on nous informe. ».
Finalement a-t-on compris ?
C’est la question centrale à la sortie de la salle de cinéma : le pari est-il tenu ? A-t-on vraiment compris cette affaire ? De la part de la jeune femme de 22 ans que je suis, qui avait donc 5 ans au moment des faits et 14 ans quand l’affaire a éclaté, la réponse est un grand oui. L’objectif est complètement atteint dans ce documentaire qui provoque chez le spectateur des sentiments mitigés : colère, stupéfaction, indignation, autant qu’hilarité face à des situations tellement loufoques qu’elles en deviennent comiques.
Il s’agit avant tout d’un documentaire d’utilité publique qui permet, comme nous l’a dit Michaël (et à raison) de « suivre le procès en comprenant, et qu’il n’y ait pas cette sensation de se faire embrouiller pour un Nicolas Sarkozy outrancier, qui crierait au complot. ».
Nicolas Sarkozy est sur le banc des prévenus accompagné de 12 autres accusés, pour des faits de corruption, recel de détournement de fonds publics, financement illégal de campagne et association de malfaiteurs. Il encourt 10 ans de prison, 375 000 euros d’amende et une inéligibilité de 5 ans.
Le documentaire est à retrouver dans plus de 130 salles de cinéma indépendant, partout en France. Il sera par la suite disponible en vidéo à la demande sur le site de Mediapart ainsi que sur d’autres plateformes spécialisées à partir d’avril ou de mai 2025.