L’association Reporters sans Frontières (RSF) publie sur son compte Twitter un mini-documentaire pour la liberté de la presse, appelé « Le Système B. L’information selon Bolloré ».
Onze journalistes témoignent des pratiques douteuses de l’homme d’affaires Vincent Bolloré dont on ne souligne plus les acquisitions : Cnews, Prisma Media, Canal+ … ni ses méthodes de prise de contrôle d’un média. Qu’ils aient travaillé dans un de ces médias au moment du rachat par Bolloré, qu’ils soient experts de la question ou qu’ils aient enquêté sur ses activités industrielles en Afrique, tous viennent apporter leur expérience pour comprendre les mécaniques du pouvoir entreprises par le grand patron de Vivendi.
Une dizaine de journalistes, toute sensibilité confondue et issus de divers médias aux lignes éditoriales multiples, réalisent le même constat : tous les médias sont en danger. Et de fil en aiguille, la garantie de la démocratie l’est aussi.
« Un journalisme au pas »
Le documentaire revient d’abord sur la prise de contrôle du géant Bolloré à iTélé en 2015. La chaîne d’information continu deviendra C-News, une « chaîne d’opinion » dénoncée par beaucoup de journalistes. Ils lui reprochent d’être une chaîne à bas coût et à grand rendement, où les clashs, le buzz et les polémiques sont monnaie courante. Après un mois de grève, la quasi-totalité de la rédaction décidé de démissionner. Cinq ans plus tard, rebelote chez Europe 1.
2015, c’est aussi l’année du rachat de Canal+. Et c’est surtout l'année où la chaîne sort un documentaire sur le Crédit Mutuel - partenaire financier du groupe Bolloré - qui sera finalement déprogrammé. Une forme de censure aux yeux des anciens journalistes de la chaîne star. Des Guignols au Zapping, en passant par les journaux télévisés et Le Petit Journal de Yann Barthès, tout le monde est « mis sous pression » confie Jean-Baptiste Rivoire, l’ancien rédacteur adjoint de Spécial Investigation sur Canal+. Progressivement, « l’investigation est supprimée ».
Tout pour museler les enquêtes en Afrique
On apprend qu’1/3 du chiffre d’affaires du groupe provient des activités africaines de Bolloré. Dès 2009, le combat contre l’investigation démarre : la première enquête réalisée par des journalistes est attaquée en justice. Le magnat tente de museler les professionnels de l’information et d’empêcher toute enquête sur ses affaires africaines.
Pour Tristan Waleckx, auteur de Vincent Bolloré, un ami qui vous veut du bien ? sur France 2, excelle en la matière. Pour ce faire, il se sert de « tout un tas d’artifices procéduraux » pour faire taire la presse, « en n’utilisant pas les procédures habituelles, à savoir le procès en diffamation ». À la place, Bolloré n’hésite pas à recourir au Tribunal de Commerce pour porter plainte pour dénigrement, en évoquant une « concurrence déloyale » en tant que média contre un autre média. Ou encore en utilisant la justice étrangère, beaucoup plus ferme qu’en France. Ces attaques ne concernent pas que les médias, puisque les particuliers peuvent également être mis en cause.
Épuiser pour mieux régner
Même s’il perd ses procès, on apprend que Bolloré ne lâche jamais. Bien au contraire, il n’hésite pas à épuiser ses adversaires en multipliant les procédures, « de façon abusive » pour les journalistes ciblés par ces dernières. L’objectif ? Faire taire les journalistes en s’acharnant sur eux. Dans ces cas extrêmes, les médias à la défense se voient contraints de se lancer dans des procédures très longues et très coûteuses. « Les ‘procédures-bâillons’ sont le bras armé de ce règne de la terreur » précise Nicolas Vescovacci, co-auteur du documentaire Evasion fiscale, enquête sur le Crédit Mutuel.
Sur la personnalité propre de Vincent Bolloré, Jean-Pierre Canet, co-auteur du livre Vincent tout-puissant, précise que cet homme d’affaire « n’en a rien à faire de l’image qu’il peut donner ».
Démocratie en danger
Pour protéger les médias, les politiques ne font malheureusement pas appliquer la « loi blanche » censée interdire à un actionnaire d’entraver la liberté éditoriale pour protéger ses intérêts d’homme d’affaires. Ainsi, le paysage médiatique français fait l’objet d’une extrême concentration des médias dans la poche de quelques uns.
Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters Sans Frontières, ajoute que ce mini-documentaire est un « cri d’alarme ». Il explique à France Inter « qu’il faut trouver les moyens pour éviter que le système médiatique devienne un système où le médias sont des jouets pour l’influence de leur propriétaire ». Tous les journalistes interrogés expriment une crainte commune : celle de voir la liberté de la presse se détériorer, et par ricochets, la démocratie en danger.
Anne CHIROL
Pour en savoir plus : https://rsf.org/fr/actualites/le-systeme-b-le-documentaire-choc-de-rsf-sur-le-systeme-bollore